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Les enjeux et défis de la participation citoyenne
Consultation en ligne, atelier de coconstruction, budget participatif, diagnostic en marchant, panel citoyen, réunion de concertation… Quelle collectivité n’a pas mobilisé un jour un de ces outils pour associer ses habitants ou d’autres acteurs de son territoire à la définition d’un projet ? On a assisté ces dernières décennies, à la faveur de la décentralisation et face à une forme de crise du système représentatif traditionnel, au développement de dispositifs participatifs proposés par les collectivités locales et à la diffusion de nombreuses méthodes et outils. Certaines collectivités se sont dotées de services dédiés. Mais qu’attend-on réellement de ces démarches ? Dans les faits, la participation recouvre un ensemble de finalités et de pratiques diverses. Les dispositifs varient concernant l’échelle des projets, les publics associés et le niveau d’association à la décision. La participation peut procéder aussi du soutien d’initiatives de collectifs d’habitants pour porter un projet ou un sujet auprès des pouvoirs publics.
Mais en parallèle de cet essor, la participation continue de susciter de la défiance. Crainte d’instrumentalisation par l’opposition, d’émergence de conflits, de perte de pouvoir et de perte de temps pour certains élus ; crainte d’être manipulés, lassitude et frustrations face au peu d’effet de certaines contributions pour certains habitants eux-mêmes. Elle fait aussi l’objet de critiques récurrentes tant du monde de la recherche que des praticiens, qui pointent notamment le flou des objectifs derrière l’injonction à "faire de la participation", le manque d’impact de nombreuses démarches participatives sur les décisions, ou encore la difficulté persistante à associer les publics les plus éloignés de la politique.
Pourtant, à l’échelle locale, l’observation de différentes expériences montre qu’une démarche de participation bien construite peut apporter de réels bénéfices aux projets : une meilleure compréhension des problématiques, une implication renforcée des citoyens dans la vie locale, des projets enrichis grâce aux contributions de l’ensemble des parties prenantes et acteurs concernés, des décisions plus légitimes.
De la charte à la boussole
Suite au drame des manifestations contre le barrage de Sivens, où un manifestant a trouvé la mort, le ministère de l’Environnement a engagé une réforme du dialogue environnemental et a souhaité développer la culture de la participation. La charte de la participation est née dans ce contexte. Elle proclame que toute personne doit pouvoir participer à l’élaboration d’un projet qui la concerne.
Élaborée de façon participative en associant différentes administrations et organismes publics (dont le Cerema), entreprises, syndicats et collectivités territoriales, elle s’organise en quatre grands articles :
Entretien avec Léo Barthémy
"Caler les petits détails qui font la différence"
Les services techniques qui mettent en œuvre les projets ont un rôle clef à jouer dans les échanges avec les habitants. Chargé de concertation et d’animation à la ville d’Arcueil, dans le Val-de-Marne, Léo Barthélémy détaille comment il accompagne ces services dans les démarches de participation.
Repenser la place des citoyens dans les décisions techniques
Faire dialoguer les expertises
Certains sujets sont-ils trop techniques et trop complexes pour faire l’objet d’une démarche de participation ? Par exemple dans le domaine des risques, on observe souvent des réticences à associer les habitants ou riverains, ou plus généralement les acteurs "non experts" du sujet. Les premiers pas qui sont faits visent principalement un objectif de sensibilisation et d’acculturation, avec éventuellement une contribution des participants à la mesure scientifique ou à l’observation, dans le cadre de démarches de sciences participatives par exemple. Plusieurs expériences présentées ci-dessous, partagées à l’occasion d’un débat lors des 7es Rencontres européennes de la participation, montrent qu’on peut attendre davantage de l’association des habitants et des acteurs locaux et du croisement des différents types de savoirs "experts" et "d’expérience", même sur des sujets très techniques :
• Mieux comprendre les phénomènes et identifier les différents leviers d’action
Dans les Alpes, un projet de recherche-action mené sur les glissements de terrain lents s’est appuyé sur un ensemble d’ateliers participatifs, dont certains au domicile même des habitants, avec les élus de plusieurs communes autour de Corps (Hautes-Alpes) et de la Salle-en-Beaumont (Isère) et des experts en géotechnique.

Ce travail collectif a permis d’enrichir les analyses techniques en s’appuyant sur la mémoire des habitants et leur connaissance du terrain, au-delà de la seule route historiquement impactée et surveillée. Inversement, il a permis à l’ensemble des acteurs locaux et des habitants de mieux comprendre les phénomènes présents (y compris les incertitudes et les limites techniques), qu’ils n’étaient pas les seuls confrontés au problème, et a ouvert la voie à une capacité d’action collective en identifiant des leviers d’action – par exemple autour des méthodes de drainage.
• Coconstruire et adapter les moyens d’intervention au contexte local
Des démarches, menées sur les risques inondations à partir des pratiques anglo-saxonnes, ont montré qu’un travail avec les habitants, en mobilisant les acteurs relais du territoire (écoles, CCAS…), permettait d’identifier des solutions de prévention issues des pratiques locales, de créer des réseaux de solidarité (comme des apéros « Vigicrue » pour s’épauler en cas d’alerte) et de partager plus efficacement les informations. Le croisement des regards permet aussi, en partant des pratiques, des usages d’un territoire, une approche plus transversale et globale des impacts sociaux, économiques, environnementaux de certains projets pour les différentes catégories de populations, et d’orienter les décisions.
• Débattre collectivement des choix politiques
La réticence à aborder certains sujets avec les habitants tient parfois à la crainte de ne pas dépasser la somme des intérêts particuliers. Des méthodes existent pour animer les débats et faire émerger des points de vue collectifs. Un travail mené avec la ville d’Arcueil (Val-de-Marne) sur la politique de stationnement, avec un groupe d’habitants tirés au sort, a été de ce point de vue riche d’enseignements. Sur ce sujet très pointu, parfois passionnel, la démarche a permis à la fois d’enrichir l’étude technique à partir d’un "diagnostic en marchant", et de provoquer la montée en compétences de tous. Un débat mouvant a permis d’organiser les échanges de points de vue sur des enjeux transversaux comme le partage de l’espace public.
Conventions citoyennes, panels citoyens : pour quoi faire ?
Les conventions citoyennes – encore appelées assemblées ou panels citoyens – se sont aussi développées au niveau local : par exemple la convention citoyenne de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) sur la transition du territoire ou l’assemblée des usagers de l’eau de la Métropole de Lyon sur la tarification sociale et environnementale de l’eau.
La diversité des citoyens présents a permis de prendre en compte les différentes pratiques et contraintes et d’engager au contraire une discussion sur la justice sociale de la réglementation proposée. Ont été abordées ainsi les questions de l’adaptation de la tarification selon les ressources, du coût pour la collectivité ou pour l’usager, de certaines situations particulières (professions de service public, etc.). De telles approches demandent un temps d’acculturation mutuel.

Pour les gestionnaires et techniciens, cela nécessite au préalable de rendre accessible l’information technique et scientifique. Vis-à-vis des habitants, notamment les plus éloignés de la participation ou des approches techniques, cela peut demander en amont une mise en confiance et de les rassurer sur l’intérêt de leur parole et de leurs compétences. Dans ces démarches, le rôle des chefs de projets thématiques et spécialistes techniques s’inscrit dans une dynamique collective.
Si un appui sur des professionnels de la participation est nécessaire, la formation des agents techniques et experts aux démarches et postures participatives est également indispensable.
Coopérer pour une transition écologique et solidaire
En matière de politiques environnementales, la "participation du public" est au centre de plusieurs textes, depuis la Déclaration de Rio en 1992 ou la convention d’Aarhus en 1998, et inscrite dans le droit avec la charte de l’environnement en 2005. La question de l’association des citoyens aux décisions qui les concernent, et du dialogue à instaurer avec les parties prenantes et acteurs du territoire, revient avec force avec l’accélération du changement climatique, l’érosion de la biodiversité ou l’accentuation des inégalités.
On touche en effet au quotidien de tous : comment on se déplace demain, comment on réaménage les villes pour supporter la chaleur, comment on s’organise pour préserver et partager la ressource en eau, ou face à l’élévation du niveau de la mer… Comment décider et mettre en œuvre les évolutions, les transitions nécessaires vers un modèle durable ? Mais dans un contexte d’urgence, "faut-il encore débattre de la transition", comme le demande le média en ligne DémocratieS ? Dans son dossier, la revue relève que, si les questions soumises à participation peuvent faire débat, en revanche l’ensemble des observateurs s’accorde sur le fait que "passer en force" ne permettra pas de faire face à la situation.
Devant ces enjeux, des collectivités territoriales s’engagent dans des démarches collectives, s’attachent à mettre autour de la table et faire coopérer une pluralité d’acteurs. Par exemple à Régny (Loire), la conception d’un projet de territoire résilient a réuni à travers plusieurs ateliers habitants, opérateurs économiques, acteurs institutionnels et associations, pour définir un ensemble d’actions opérationnelles mobilisant les différents participants. L’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse a de son côté expérimenté avec des collectivités des dispositifs participatifs fondés sur la recherche d’une définition commune de " l’utilité sociale" des projets liés à l’eau.
On peut citer aussi des démarches menées dans le cadre de l’appel à partenaires sur la gestion intégrée du littoral, associant les parties prenantes – campings, associations de pêche à pied, etc. – afin de définir et de prioriser des leviers d’action. En parallèle du comité de pilotage, des élus ont instauré un groupe "miroir" de citoyens, chargé de questionner les travaux et d’accompagner le processus de décision. Ces démarches obligent à décloisonner les sujets – ce qui doit commencer souvent au sein même des services et des institutions : les démarches de "balades urbaines" associant les élus et les différents services présentent également cet intérêt. Elles permettent d’identifier les points de divergence, les conflits d’usage, d’argumenter les points de vue, dans une logique de choix collectifs et de coconstruction des solutions. Elles favorisent également l’émergence d’idées nouvelles. Cela suppose, pour les élus et leurs services, de jouer un rôle de catalyseur, de chef d’orchestre de la démarche, et nécessite un portage politique fort. Les citoyens ont toute leur place dans ces démarches.
Les initiatives citoyennes (tiers-lieux, centrales villageoises sur les ENR…) sont des leviers pour la transition écologique et solidaire. Le défi est aujourd’hui de permettre aux publics les plus touchés, à ceux qui s’expriment le moins, de faire entendre leur voix et d’agir, et pas uniquement dans le cadre de démarches de concertation formelles sur des projets déjà largement définis techniquement.
Les clés de la réussite
Il existe donc de nombreuses façons de mener une démarche de participation, selon le projet, le contexte territorial et les objectifs, et des modalités variées sont à explorer. Si ces démarches nécessitent l’engagement des élus et des services, elles se construisent aussi pas à pas, en commençant par exemple par de premières actions sur des objets concrets touchant au quotidien des habitants, avant d’élargir à des questions de société à plus large échelle, une fois la culture participative locale davantage installée.
Quelques conditions sont à respecter pour des démarches sincères et réussies ?
D’abord, il faut un portage politique fort, une définition claire des objectifs et du cadre de la démarche, en explicitant le niveau de participation attendu et les marges de manœuvre. La participation ne sert pas à faire accepter ou mettre en œuvre des mesures prises ailleurs, elle doit pouvoir faire évoluer un projet au bénéfice du plus grand nombre. L’articulation avec les instances de décision est un enjeu de ces démarches. Plus pratiquement, les démarches nécessitent de bien prendre en compte les contraintes de temps, de moyens, de développer une information claire et transparente, de rechercher des relais pour mobiliser. Elles doivent aussi et surtout toujours revenir vers les participants pour rendre compte des résultats et des décisions.
|Par Géraldine Geoffroy, chargée de mission participation, Géraldine Bertaud, Jessica Bertrand-Corral, Marine Huet, Karine Lancement, Nathalie Racineux, Isabelle Robinot-Bertrand, Cerema
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