23 mai 2025
Visite de terrain
Depuis les années 1990, la mise en œuvre de dispositifs participatifs dans l’élaboration des projets et politiques publiques s’est démultipliée. En parallèle, la participation fait l’objet de nombreuses critiques, voire de défiance. À l’échelle locale, quand et pourquoi engager une démarche de participation, à quelle condition portera-t-elle ses fruits ? Que peut apporter le dialogue avec des citoyens "ordinaires" et l’ensemble des parties prenantes en complément de l’expertise technique, dans des domaines comme les risques, la mobilité, l’aménagement ? Que peut-on attendre de la participation et de la coopération dans une perspective de transition écologique et solidaire ?

Cet article a été publié par notre partenaire TechniCités

Les enjeux et défis de la participation citoyenne

Consultation en ligne, atelier de coconstruction, budget participatif, diagnostic en marchant, panel citoyen, réunion de concertation… Quelle collectivité n’a pas mobilisé un jour un de ces outils pour associer ses habitants ou d’autres acteurs de son territoire à la définition d’un projet ? On a assisté ces dernières décennies, à la faveur de la décentralisation et face à une forme de crise du système représentatif traditionnel, au développement de dispositifs participatifs proposés par les collectivités locales et à la diffusion de nombreuses méthodes et outils. Certaines collectivités se sont dotées de services dédiés. Mais qu’attend-on réellement de ces démarches ? Dans les faits, la participation recouvre un ensemble de finalités et de pratiques diverses. Les dispositifs varient concernant l’échelle des projets, les publics associés et le niveau d’association à la décision. La participation peut procéder aussi du soutien d’initiatives de collectifs d’habitants pour porter un projet ou un sujet auprès des pouvoirs publics.

Mais en parallèle de cet essor, la participation continue de susciter de la défiance. Crainte d’instrumentalisation par l’opposition, d’émergence de conflits, de perte de pouvoir et de perte de temps pour certains élus ; crainte d’être manipulés, lassitude et frustrations face au peu d’effet de certaines contributions pour certains habitants eux-mêmes. Elle fait aussi l’objet de critiques récurrentes tant du monde de la recherche que des praticiens, qui pointent notamment le flou des objectifs derrière l’injonction à "faire de la participation", le manque d’impact de nombreuses démarches participatives sur les décisions, ou encore la difficulté persistante à associer les publics les plus éloignés de la politique.

Pourtant, à l’échelle locale, l’observation de différentes expériences montre qu’une démarche de participation bien construite peut apporter de réels bénéfices aux projets : une meilleure compréhension des problématiques, une implication renforcée des citoyens dans la vie locale, des projets enrichis grâce aux contributions de l’ensemble des parties prenantes et acteurs concernés, des décisions plus légitimes.

De la charte à la boussole

Suite au drame des manifestations contre le barrage de Sivens, où un manifestant a trouvé la mort, le ministère de l’Environnement a engagé une réforme du dialogue environnemental et a souhaité développer la culture de la participation. La charte de la participation est née dans ce contexte. Elle proclame que toute personne doit pouvoir participer à l’élaboration d’un projet qui la concerne.
 

Élaborée de façon participative en associant différentes administrations et organismes publics (dont le Cerema), entreprises, syndicats et collectivités territoriales, elle s’organise en quatre grands articles :
La participation du public...
  • nécessite un cadre clair et partagé ;
     
  • nécessite un état d’esprit constructif ;
     
  • recherche et facilite la mobilisation de tous ;
     
  • encourage le pouvoir d’initiative du citoyen.

Entretien avec Léo Barthémy

 

"Caler les petits détails qui font la différence"

 

Les services techniques qui mettent en œuvre les projets ont un rôle clef à jouer dans les échanges avec les habitants. Chargé de concertation et d’animation à la ville d’Arcueil, dans le Val-de-Marne, Léo Barthélémy détaille comment il accompagne ces services dans les démarches de participation.
 

Comment la ville d’Arcueil a-t-elle investi le sujet de la participation ?
Arcueil, France : Centre culturel Marius SIdobre ©Adobe Stock

LB : La ville a investi le sujet de la participation dès le milieu des années 1990. En 2020, elle a mis en place un pôle citoyenneté qui intègre le sujet de la participation citoyenne, et qui vient en appui des services techniques. Cela s’est traduit politiquement aussi, avec un poste de second adjoint aux initiatives citoyennes. De très nombreux projets sont menés à Arcueil avec un souhait des élus d’associer les citoyens. C’est le cas dans l’urbanisme classiquement, mais aussi sur la nature en ville avec l’élaboration d’une charte de l’arbre, la restauration scolaire, les politiques de mobilité, la jeunesse…On organise aussi régulièrement des balades urbaines, avec des élus, pour aller au-devant des habitants. Au départ il y avait parfois une forme de réticence des services, liée notamment à la crainte d’être pris à partie, ou suite à des expériences de réunions publiques virulentes.

La participation, c’est du travail supplémentaire, donc on n’y va pas si on ne voit pas ce qu’on va en retirer, et qu’en plus c’est une expérience désagréable ! Mais il y a eu une vraie évolution progressivement, parla pratique, par l’expérimentation.

Quelles sont les pratiques des services ? 

LB : D’abord, on aide à questionner les objectifs de la démarche, et éviter de faire rêver s’il n’y a pas de marge de manœuvre ! On discute des moyens disponibles et de nos capacités réelles. On anticipe les échanges, identifie les sujets conflictuels et les questions difficiles. Et on adapte aussi les formats, on prépare des scénarios alternatifs, selon que dix ou cinquante personnes participent. 

Ensuite, quand on accompagne un service dans un atelier ou une réunion, on prend en charge l’organisation globale, la gestion du temps, tous les aspects pratiques qui permettent au chargé de projet ou aux techniciens de pouvoir se consacrer sur le fond et l’échange avec les habitants. On a organisé aussi des temps de formations en interne, pour des collègues qui peuvent avoir à organiser une démarche participative, et pour ceux qui doivent intervenir dans un atelier ou une réunion publique.

Enfin, on organise des formations internes pour partager le cadre théorique, le vocabulaire et clarifier la commande politique : information, consultation ou concertation ? On teste aussi les postures d'animation à travers des jeux de rôle, comme gérer la contradiction, qui est inhérente à la participation. Même en s'appuyant sur des bureaux d'études privés, partager cette culture en interne est nécessaire.

Un constat, une recommandation ?

LB : Aujourd’hui, il y a une vraie montée en compétences dans les services. La dimension participative est davantage intégrée dans les pratiques. Il y a davantage de confiance, et le constat que la participation, au contraire, peut permettre de dénouer des conflits potentiels en amont, et que cela peut vraiment faire évoluer les projets positivement. Mais il ne faut pas vendre du miracle, l’outil clefs en main qui va marcher à tous les coups ! La recette c’est d’anticiper et d’organiser la démarche. Et dédramatiser aussi – on progresse pas à pas.

Repenser la place des citoyens dans les décisions techniques

Faire dialoguer les expertises 

Certains sujets sont-ils trop techniques et trop complexes pour faire l’objet d’une démarche de participation ? Par exemple dans le domaine des risques, on observe souvent des réticences à associer les habitants ou riverains, ou plus généralement les acteurs "non experts" du sujet. Les premiers pas qui sont faits visent principalement un objectif de sensibilisation et d’acculturation, avec éventuellement une contribution des participants à la mesure scientifique ou à l’observation, dans le cadre de démarches de sciences participatives par exemple. Plusieurs expériences présentées ci-dessous, partagées à l’occasion d’un débat lors des 7es Rencontres européennes de la participation, montrent qu’on peut attendre davantage de l’association des habitants et des acteurs locaux et du croisement des différents types de savoirs "experts" et "d’expérience", même sur des sujets très techniques :

• Mieux comprendre les phénomènes et identifier les différents leviers d’action

Dans les Alpes, un projet de recherche-action mené sur les glissements de terrain lents s’est appuyé sur un ensemble d’ateliers participatifs, dont certains au domicile même des habitants, avec les élus de plusieurs communes autour de Corps (Hautes-Alpes) et de la Salle-en-Beaumont (Isère) et des experts en géotechnique.

©Cerema

Ce travail collectif a permis d’enrichir les analyses techniques en s’appuyant sur la mémoire des habitants et leur connaissance du terrain, au-delà de la seule route historiquement impactée et surveillée. Inversement, il a permis à l’ensemble des acteurs locaux et des habitants de mieux comprendre les phénomènes présents (y compris les incertitudes et les limites techniques), qu’ils n’étaient pas les seuls confrontés au problème, et a ouvert la voie à une capacité d’action collective en identifiant des leviers d’action – par exemple autour des méthodes de drainage.

• Coconstruire et adapter les moyens d’intervention au contexte local

Des démarches, menées sur les risques inondations à partir des pratiques anglo-saxonnes, ont montré qu’un travail avec les habitants, en mobilisant les acteurs relais du territoire (écoles, CCAS…), permettait d’identifier des solutions de prévention issues des pratiques locales, de créer des réseaux de solidarité (comme des apéros « Vigicrue » pour s’épauler en cas d’alerte) et de partager plus efficacement les informations. Le croisement des regards permet aussi, en partant des pratiques, des usages d’un territoire, une approche plus transversale et globale des impacts sociaux, économiques, environnementaux de certains projets pour les différentes catégories de populations, et d’orienter les décisions.

• Débattre collectivement des choix politiques 

La réticence à aborder certains sujets avec les habitants tient parfois à la crainte de ne pas dépasser la somme des intérêts particuliers. Des méthodes existent pour animer les débats et faire émerger des points de vue collectifs. Un travail mené avec la ville d’Arcueil (Val-de-Marne) sur la politique de stationnement, avec un groupe d’habitants tirés au sort, a été de ce point de vue riche d’enseignements. Sur ce sujet très pointu, parfois passionnel, la démarche a permis à la fois d’enrichir l’étude technique à partir d’un "diagnostic en marchant", et de provoquer la montée en compétences de tous. Un débat mouvant a permis d’organiser les échanges de points de vue sur des enjeux transversaux comme le partage de l’espace public.

Conventions citoyennes, panels citoyens : pour quoi faire ?

Les conventions citoyennes – encore appelées assemblées ou panels citoyens – se sont aussi développées au niveau local : par exemple la convention citoyenne de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) sur la transition du territoire ou l’assemblée des usagers de l’eau de la Métropole de Lyon sur la tarification sociale et environnementale de l’eau.

Le format de ces dispositifs n’est pas complètement normé, mais ils répondent généralement à des objectifs communs et présentent des caractéristiques proches. Notamment :

  • la constitution d’un groupe de citoyens choisis, souvent par tirage au sort, pour leur représentation de la diversité de la population ;
  • un travail sur le temps long, avec une dimension de formation et de montée en compétences sur le sujet traité ;
  • une méthode qui favorise le débat, avec l’apport de points de vue contradictoires ;
  • un lien clair à la décision politique.

Une convention citoyenne permet, grâce au travail dans la durée, de construire une argumentation pour éclairer la décision, laquelle reste aux mains des élus. Elle doit pouvoir être articulée aussi avec des dispositifs de concertation "grand public", pour nourrir les échanges de la convention et partager ses réflexions.

La diversité des citoyens présents a permis de prendre en compte les différentes pratiques et contraintes et d’engager au contraire une discussion sur la justice sociale de la réglementation proposée. Ont été abordées ainsi les questions de l’adaptation de la tarification selon les ressources, du coût pour la collectivité ou pour l’usager, de certaines situations particulières (professions de service public, etc.). De telles approches demandent un temps d’acculturation mutuel.

©Cerema

Pour les gestionnaires et techniciens, cela nécessite au préalable de rendre accessible l’information technique et scientifique. Vis-à-vis des habitants, notamment les plus éloignés de la participation ou des approches techniques, cela peut demander en amont une mise en confiance et de les rassurer sur l’intérêt de leur parole et de leurs compétences. Dans ces démarches, le rôle des chefs de projets thématiques et spécialistes techniques s’inscrit dans une dynamique collective.

Si un appui sur des professionnels de la participation est nécessaire, la formation des agents techniques et experts aux démarches et postures participatives est également indispensable.

Coopérer pour une transition écologique et solidaire

En matière de politiques environnementales, la "participation du public" est au centre de plusieurs textes, depuis la Déclaration de Rio en 1992 ou la convention d’Aarhus en 1998, et inscrite dans le droit avec la charte de l’environnement en 2005. La question de l’association des citoyens aux décisions qui les concernent, et du dialogue à instaurer avec les parties prenantes et acteurs du territoire, revient avec force avec l’accélération du changement climatique, l’érosion de la biodiversité ou l’accentuation des inégalités.

On touche en effet au quotidien de tous : comment on se déplace demain, comment on réaménage les villes pour supporter la chaleur, comment on s’organise pour préserver et partager la ressource en eau, ou face à l’élévation du niveau de la mer… Comment décider et mettre en œuvre les évolutions, les transitions nécessaires vers un modèle durable ? Mais dans un contexte d’urgence, "faut-il encore débattre de la transition", comme le demande le média en ligne DémocratieS ? Dans son dossier, la revue relève que, si les questions soumises à participation peuvent faire débat, en revanche l’ensemble des observateurs s’accorde sur le fait que "passer en force" ne permettra pas de faire face à la situation.

Devant ces enjeux, des collectivités territoriales s’engagent dans des démarches collectives, s’attachent à mettre autour de la table et faire coopérer une pluralité d’acteurs. Par exemple à Régny (Loire), la conception d’un projet de territoire résilient a réuni à travers plusieurs ateliers habitants, opérateurs économiques, acteurs institutionnels et associations, pour définir un ensemble d’actions opérationnelles mobilisant les différents participants. L’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse a de son côté expérimenté avec des collectivités des dispositifs participatifs fondés sur la recherche d’une définition commune de " l’utilité sociale" des projets liés à l’eau.

On peut citer aussi des démarches menées dans le cadre de l’appel à partenaires sur la gestion intégrée du littoral, associant les parties prenantes – campings, associations de pêche à pied, etc. – afin de définir et de prioriser des leviers d’action. En parallèle du comité de pilotage, des élus ont instauré un groupe "miroir" de citoyens, chargé de questionner les travaux et d’accompagner le processus de décision. Ces démarches obligent à décloisonner les sujets – ce qui doit commencer souvent au sein même des services et des institutions : les démarches de "balades urbaines" associant les élus et les différents services présentent également cet intérêt. Elles permettent d’identifier les points de divergence, les conflits d’usage, d’argumenter les points de vue, dans une logique de choix collectifs et de coconstruction des solutions. Elles favorisent également l’émergence d’idées nouvelles. Cela suppose, pour les élus et leurs services, de jouer un rôle de catalyseur, de chef d’orchestre de la démarche, et nécessite un portage politique fort. Les citoyens ont toute leur place dans ces démarches.

Les initiatives citoyennes (tiers-lieux, centrales villageoises sur les ENR…) sont des leviers pour la transition écologique et solidaire. Le défi est aujourd’hui de permettre aux publics les plus touchés, à ceux qui s’expriment le moins, de faire entendre leur voix et d’agir, et pas uniquement dans le cadre de démarches de concertation formelles sur des projets déjà largement définis techniquement.

Les clés de la réussite

Il existe donc de nombreuses façons de mener une démarche de participation, selon le projet, le contexte territorial et les objectifs, et des modalités variées sont à explorer. Si ces démarches nécessitent l’engagement des élus et des services, elles se construisent aussi pas à pas, en commençant par exemple par de premières actions sur des objets concrets touchant au quotidien des habitants, avant d’élargir à des questions de société à plus large échelle, une fois la culture participative locale davantage installée. 

Quelques conditions sont à respecter pour des démarches sincères et réussies ? 

D’abord, il faut un portage politique fort, une définition claire des objectifs et du cadre de la démarche, en explicitant le niveau de participation attendu et les marges de manœuvre. La participation ne sert pas à faire accepter ou mettre en œuvre des mesures prises ailleurs, elle doit pouvoir faire évoluer un projet au bénéfice du plus grand nombre. L’articulation avec les instances de décision est un enjeu de ces démarches. Plus pratiquement, les démarches nécessitent de bien prendre en compte les contraintes de temps, de moyens, de développer une information claire et transparente, de rechercher des relais pour mobiliser. Elles doivent aussi et surtout toujours revenir vers les participants pour rendre compte des résultats et des décisions. 

|Par Géraldine Geoffroy, chargée de mission participation, Géraldine Bertaud, Jessica Bertrand-Corral, Marine Huet, Karine Lancement, Nathalie Racineux, Isabelle Robinot-Bertrand, Cerema

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